Demain

Des masques sur des masques
Claudiquent sous gel alcoolique
Quatre murs, des oreilles partout
Mille infos à la seconde
Mille urgences à la seconde
Genoux en terre
J'prie Croissance
Envoie Récession aux quatre enfers
Bouts d'chair humaine, une pincée d'cynisme
Un pied à deux doigts du ravin
Deux mains sur les mirettes
Lis entre les lignes à haute tension
Ecoute les corbacs en costard
Ils susurrent tous :
Prêts pour le prochain rampe ou crève ?

Pyramide

Tu veux être invisible ?
Tu veux être personne ?
Tu veux trimbaler ta graisse dans des couloirs pisseux chaque matin, chaque soir ? 
Tu veux quémander, traîner parmi les prolos, parmi les victimes ?
Tu veux vraiment être de ces crasseux, de ces jamais rien, de ces sans passé, de ces sans avenir, de cette masse merdeuse qui ne va nulle part, de cette masse informe qui ne construit rien ?

L'avorton boutonneux écoute attentivement. Il serre ses petits poings. Il se met à croire que ces imprécations sont belles, que ces sentences qu'on lui assène seront sa révolte, son cri au monde. Il va se venger. Il va leur montrer. Il va entasser. Il va se hisser sur le trône, il va regarder ses tortionnaires avec mépris. Il va devenir le roi. 
Y'a juste un grain de sable dans la belle mécanique : ils sont des milliards comme lui. Ils veulent tous monter. 
Mais qui est assez crétin pour croire que le sommet d'une pyramide ressemble à une grande terrasse arborée, à un Eden prêt à accueillir tout le monde ?
Pour arriver en haut gamin, faudra balancer les gus qui seront sur ton chemin. Crois moi, y'aura pas de place pour les bons sentiments. Tu balanceras les cadavres par milliers, ils serviront de purin à l'organique structure. Tu pourras te reposer quand tu commenceras à reporter des couches. Tu pourras profiter pleinement de l'empire que tu auras construit. T'auras tout l'temps pour penser, la fin de vie ça dure un bail maintenant. 


..

Les deux points font mouche : j'vais tout dévorer
Les deux poings dans la bouche, j'vais tout gerber
Dévisse mon crâne, incise la boîte,
Ils grouillent, sautent aux visages :
Une nuée de démons enragés,
300 spartiates aux corps affûtés,
Aux crocs acérés,
J'crache toutes vos théories, vos idéaux vidés de substance,
Vos dieux boiteux, vos jeux véreux, vos vœux d'un mieux,
J'sors dans ma rue :
J'vois qu'des sales faces dans des sales culs,
Des esclaves becs ouverts : inventez nous des libertés,
Inventez nous des combats, des buts, des rêves,
On veut d'la sueur télévisée, d'la semence connectée,  
Du sang en streaming, des révolutions de canapé,
Du consommable à souhait, du prêt à bâfrer,  du prêt à jeter,
Du prêt à commenter, du prêt à haïr. 

Prêt à s'barrer ?
Ouais, sur le toit d'mon immeuble, j'bricole ma navette. 
J'tends ma main à ma sirène. 
On s'casse de là, y'a plus rien d'beau dans vos promesses. 



Vadrouilleurs

Tu les verras errer au soir, en lentes processions titubantes, tout à leurs cacophonies, le foie plein à ras, les yeux plein d'absences, le cœur vide de tout depuis bien trop longtemps.
Leurs têtes penchées mais sans jamais d'épaules pour repos, leurs têtes penchées vrillent une à une.  Elles se balancent, crachent au ciel puis reçoivent au visage leur propre mollard.
Mais qui sont ces indigents, qui sont ces cloportes qui remuent ta douce nuit ?
Toi qui écrase ta joue contre l'oreiller si tôt, tu peux être sûr qu'ils te méprisent cordialement.

Aime les quand même, car quand le rideau de fer tombe, leurs paupières levées bien droites ne savent plus trop ce qu'elles foutent encore là. Leurs paupières se tâtent franchement, elles se disent qu'il est sûrement grand temps de fermer boutique elles aussi. Et pourtant, elles repartent au combat. Le bouillon éthylique les réveille toujours, la fermentation du foie fonctionne à plein régime et rien n'arrêtera la marche victorieuse.
A cette heure dans les ruelles tout est gris à pleurer et tu les entendras ces vadrouilleurs, ils riront à se flinguer la trogne. Que sont ces rires sinon des incantations, des exhortations à vivre quand même ? Que sont ces hurlements sinon des cris d'incompréhension, des braillements de gosses meurtris ?

Dois-je me confesser ?  Dois-je vraiment tout dire ? Dire que moi aussi, j'ai un peu fait partie de cette engeance. De cette race d'hommes qui se persuadent qu'il n'y a de la vie que dans la destruction de sa propre vie.

Lara Crosse



Piafs canés dans les cages thoraciques
Ouvrez les vannes ouvrez les veines
Serpents à faces humaines
A chaque carrefour j'hésite
Scorpions dans les pompes
Des crédits, des cams, des drônes
Tous galériens pour le trône
Tous paumés dans la pyramide
Le rire de Maslow en écho
Embaumés vivants
Sortez nos cervelles viciées par les tympans
Mon cœur vibrant, ma peur mon rang
Uppercut pour l'adulte
Main tendue pour le marmot.

Echauffement

En lotus sur le bitume bouillant et mes pieds nus,
Engoncé dans un costard ou dans un jogging,
Bouts d'chair humaine, une pincée d'cynisme,
Mes bras au ciel,
J'invoque Croissance envoie Récession aux quatre enfers :
Retour à la normale, sourires plein d'crocs,
Tous prêts pour la suite du Marche ou Crève.

Déconfinade

J'voyais des êtres civilisés, des êtres prostrés, des dos courbés, des êtres broyés par des statistiques, par l'information, des êtres qui s'inventaient de jolies histoires : des histoires de liberté d'expression, des histoires dans lesquelles ils seraient capables de réflexion, des histoires dans lesquelles ils confondaient expression spontanée et mise en perspective. Ils avaient réussi un formidable numéro de contorsion mentale, ils se gavaient de données, de chiffres, d'avis contraires, d'avis éclairés ou imbéciles et se persuadaient de devenir par ce biais des esprits libres.

C'est ce beau mensonge qui les berce, pourtant réveillés chaque minute par la lumière de la dernière notification : l'esprit libre 2.0 a une tronche pâlichonne, des cernes affreux, des tremblements, un foie en lambeaux, gobe des poignées d’anxiolytiques car PERSONNE n'est capable de supporter le flux ininterrompu sans tomber dans la névrose ou dans la bêtise. Ceux qui prétendent le contraire sont les plus toxicomanes.