Deuxième peau

C'est le premier jour du reste de ma vie.
J1.
Je commence à ouvrir les yeux.
La chimie ou un pote, on m'a envoyé une lime.
Les barreaux de ma cellule commencent à céder.
OK, je sais que les murs sont encore épais.
OK, je sais que la fenêtre de ma cellule est trop petite.
Peu importe.
Je vois le soleil qui s'invite enfin chez moi.
J'ai déposé les armes.
Je suis bien décidé à prendre ma part d'ombre par sa fine main éthérée.
Devenons alliés.
Il est temps d'être entiers.

****

OK.
Déposons la Winston dans le cendrier.
J'ai préparé le calumet, tu sais, celui de la paix. Fume avec moi.
Je ne dirai plus que tu as une sale tronche.
Je ne veux plus te cacher.
Tu es ma sœur jumelle.
J'ai parlé de toi à ma famille.
A mes meilleurs amis aussi. Je leur ai tout dit.
Maintenant ils te connaissent.
Je ne crois pas qu'ils t'apprécient beaucoup. C'est normal.
Moi aussi je t'ai haï de toutes les fibres de mon corps.

****

J'ai pigé quelque chose.
Tu es plus que mon ombre.
Tu es un morceau de moi.
Pour te tuer, je dois me tuer.
Et j'ai une furieuse envie de vivre qui bouillonne en moi.
Je sens le magma qui crépite.
Les éruptions sont perpétuelles.
Des roches fumantes de plaisir pleuvent.
Le flot d'angoisse commence à refroidir.
La roche forme une carapace.
Je vais faire du cimetière de mes années noires un jardin.

****

Tu te rappelles hier ?
On attendait qu'une femme nous sauve.
Elle est belle cette idée, c'est vrai.
L'idée d'une femme qui accepte les larmes.
Patiemment, elle aurait tissé un linceul pudique sur ta trogne moribonde.
Conneries !
Un tissu de mensonges.
Quels sont les sombres individus qui m'ont bourré le crâne avec ces inepties romantiques ?
C'est à moi et moi seul de t'apprivoiser.

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Je dois te reconnaître une qualité.
C'est toi qui tiens ma plume en tremblant.
Ou qui tape fiévreusement sur le clavier, c'est selon.
C'est toi qui parle quand la rime sonne bien.
OK, je ne suis certainement pas exceptionnel.
Mais tu sais mélanger les syllabes et faire une soupe pas dégueulasse.

****

Tout est si calme.
Ce soir j'ai parlé à cette jolie blonde dans le train.
On s'observait furtivement depuis trente minutes interminables. J'ai enfin osé l'aborder.
Mes yeux n'avaient de cesse de glisser des pages de son bouquin à mon reflet dans la vitre du train.
Enfin, par un de ces prétextes futiles j'ai osé aborder l'Inconnue du train.
Elle avait des grands yeux bleus, aussi lumineux que le ciel que j'aperçois à nouveau.
Mes yeux se décollent doucement de mon nombril pour croiser le regard de cette illustre mais flamboyante inconnue.

****

OK.
Je l'ai laissé filer dans le grand tourbillon du dimanche soir.
Ce tourbillon contient déjà un peu de la frénésie du lundi studieux.
Il dévore le beau et l'insouciance. Il transforme les romances en réunions, les unions en conférences.
Il range les âmes dans des tableaux de données.
Il est 00h24.
Je suis épuisé, un fantôme dans un train qui semble faire l'éloge de la lenteur.
A dire vrai, ce n'est pas si grave.
A dire vrai, tout semble plus beau.
Tout est si calme.

****

Histoire banale ?
C'est vous qui le dites.
Peu d'histoires sont banales quand on a passé dix piges à se claquemurer derrière une épaisse couche de peur.
Dix piges passées dans des boucles qui s'entremêlent.
Une pelote de nerfs et de confusion.
Il est ce jour où la sérénité revient danser de ses graciles gambettes.
Ce jour est vraiment nouveau.
L'obscurité laisse doucement sa place à une douce clarté.
Et ce que le quidam appelle histoire banale devient expérience inédite, aventure ou douce folie.

Ne me parlez pas d'histoires banales.
Il n'y a pas d'histoires banales.
Il y a des petites lâchetés et du dédain mal placé.
Il y a des silences qui nous écrasent, et des paroles futiles qui s'envolent joyeusement.
Il y a du mépris pour le sublime du quotidien. Et tant de priorités qui n'en sont pas.

****

Un à un.
Un à un, je vais les retirer.
Il sont si nombreux, les cailloux dans mes pompes.
Un baiser déposé, et déjà ce sont des tonnes de caillasses qui s'évanouissent.
Elle est plus fraîche que la fraîcheur.
Sa candeur rayonne. Je vais retrouver des couleurs à ses côtés.
Et ça durera peu ou longtemps, peu importe.
Parlez moi de couple, je vous parlerai d'amour.
Parlez moi de construire, je vous parlerai de tordre les corps.
Parlez moi de projets, je vous parlerai de vivre.
Parlez moi de maturité, je vous parlerai d'éternelle insouciance.
Il n'y pas d'histoire banale. Il y a des instants à savourer. Des éruptions de tendresse à saisir.
Le reste n'est que fumerolles sans charme aucun.

***

On peut chercher sa complétude dans une femme.
Belle quête que voilà !
Sûrement la plus vaine qui soit.
Et si on croit l'avoir trouvé, l'illusion ne dure qu'un temps.
Quand le subterfuge s'évanouit, on retrouve un vide abyssal.
Pour retrouver son chemin, il faut d'abord accepter qu'on est paumé.
Acceptons d'être incomplets.
Tout est si calme.